En février de cette année, 150 économistes européens ont signé une tribune dans Le Monde en faveur de l’annulation d’une partie de la dette publique en Europe. Ils souhaitent montrer que le rôle de l’Etat est d’intervenir dans l’économie. Pourtant, cette proposition divise au sein même du camp des hétérodoxes, les progressistes.
Un contexte de crise sanitaire
La pandémie de la covid-19 a imposé des mesures restrictives qui ont mis un coup d’arrêt à l’activité économique mondiale. C’est un choc symétrique puisqu’une grande partie des pays dans le monde et des secteurs sont touchés. Les Etats ont beaucoup dépensé pour soutenir leur économie et mécaniquement, ont vu leur dette publique exploser. En France, le déficit a été de 9,2% du Produit Intérieur Brut (PIB) et la dette publique atteint 115,7% du PIB fin 2020. Les Etats refinancent sans cesse leur dette, auprès des marchés financiers. Or, si ces derniers ne jouent plus leur rôle en prêtant de l’argent, ce pourrait causer une grave crise financière puis économique. La crise de l’euro au début des années 2010 en est une illustration et reste vue comme un traumatisme : la crise des subprimes a fait bondir les dettes publiques puis les marchés financiers ont cessé de financer les pays les moins solides économiquement. Ils sont au nombre de cinq – la Grèce, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et le Portugal – et ont beaucoup souffert de la crise. Cette crise a aussi désequilibrée l’Union Européenne qui s’est efforcée à trouver des solutions et les pays membres, les aider en s’endettant à leur tour.
La vision libérale voit la dette comme dangereuse et le Pacte de Stabilité et de croissance (PSC) instaurée par l’Union Européenne (UE) s’inscrit dans cette vision : elle a pour vocation à contrôler le niveau des dettes publique des Etats membres de la zone euro. Les règles du PSC ont été suspendues durant la crise mais l’UE souhaite les remettre une fois la crise passée, vers 2022. A ce moment-là, les pays européens seront denouveau contraints à mener des politiques de rigueur budgétaire – comme avant la crise covid.
Derrière cette proposition se cache un objectif : « forcer » les Etats à investir dans l’économie un argent qu’ils ne doivent plus
Davantage de budget pour l’Etat
L’annulation porterai sur les 25% de la dette publique des Etats membres de la zone euro détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE), soit près de 3 000 milliards d’euros. Si cela est possible, c’est grâce à la politique de Quantitative Easing menée par la BCE depuis la crise des subprimes en 2008 : elle rachète les titres de dettes des Etats auprès des financiers. Derrière cette proposition se cache un objectif : « forcer » les Etats à investir dans l’économie cet argent qu’ils ne doivent plus, dans des secteurs qui n’apportent pas de croissance économique à court terme mais que les annulationnistes considèrent comme nécessaires pour la société, tel que la transition écologique ou la promotion de la justice sociale. L’annulation donnerai directement du budget aux Etats, au lieu de se refinancer.
De plus, la croissance est un phénomène auto-entretenu : l’investissement public peut être le point de départ d’une croissance à venir. C’est la théorie de croissance endogène développée par Paul Romer et Robert Lucas.
Cela pourrait aussi permettre de soutenir la politique monétaire de relance – le taux directeur a même été négatif pendant la crise covid – pour être plus efficace. En effet en temps normal, les Etats sont contraint à mener des politiques budgétaires de rigueur même lorsqu’ils ont besoin de relancer leur économie, à cause en partie du PSC : les règles sont les mêmes pour tous quelque soit les différences de conjoncture économique entre les pays.
Un enjeu avant tout politique
Par leur proposition, les annulationistes veulent déconstruire l’un des totem selon lequel l’Etat doit à tout prix revenir à l’équilibre budgétaire et ne doit pas intervenir dans l’économie. C’est ainsi une stratégie politique : couper l’herbe sous le pied des libéraux qui considèrent que notre niveau d’endettement justifie des mesures d’austérité. Cela dit, c’est aussi un risque politique : si la dette n’est pas un problème, alors pourquoi vouloir la supprimer ? Les partisans de l’austérité pourraient s’en servir dans le sens inverse : annuler la dette revient à dire qu’elle représente aujourd’hui un problème. Ce qui serait contraire à l’objectif premier du camp « annulationiste ».
L’idée d’une annulation de la dette divise au sein même du camp des hétérodoxes qui pensent que défendre cet argumentaire serait justement trop risqué politiquement et qu’on ignore la réaction des marchés financiers.
Le débat est donc avant tout politique.
Article largement inspiré de mon grand oral.