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Affaire Omar Raddad : 30 ans après, enfin la vérité ?

Affaire Omar Raddad : 30 ans après, enfin la vérité ?

Affaire Omar Raddad : 30 ans après, enfin la vérité ?

Image : Stocklib / Atit Phetmuangtong

Au cœur de l’une des affaires de meurtre les plus célèbres de France, Omar Raddad, aujourd’hui âgé de 59 ans, a été reconnu coupable d’assassinat envers son employeuse, Ghislaine Marchal, le 24 juin 1991. L’affaire s’est articulée autour d’un message écrit avec du sang sur une porte près du corps mutilé de Ghislaine Marchal : « Omar m’a tuer ». 30 ans après, la justice a décidé de rouvrir le dossier, une première étape vers une éventuelle révision du procès.

En 1991, Ghislaine Marchal, 65 ans, vivait seule dans une grande villa et Raddad s’occupait de son jardin. Issue d’une riche famille, Ghislaine Marchal était la fille d’un industriel qui s’engagea dans la Résistance contre l’occupation nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale et mourut en déportation. Son second mari était l’héritier d’une fortune industrielle.

Quant à Omar Raddad, il avait grandi au Maroc, ne savait ni lire ni écrire et parlait un peu le français. Il avait rejoint son père, qui avait travaillé pendant des années comme jardinier dans la même communauté sur la Côte d’Azur.

Très étonnés de ne pas la voir arriver à un rendez-vous, les amis de Ghislaine Marchal s’inquiètent et tentent de la contacter. Ils signaleront par la suite à la police qu’ils l’ont trouvée morte, avec de multiples contusions et de multiples blessures, dans une cave annexe à sa villa dont la porte d’accès était bloquée de l’intérieur. Par ailleurs, un lit pliant bloquait la porte soutenue par un tube métallique.

Une faute d’orthographe au centre de la bataille judiciaire ?

Deux inscriptions en lettres de sang trouvées sur la scène du crime, indiquaient « OMAR M’A TUER » et sur une autre porte « OMAR M’A T ». Les experts en calligraphie ont été en désaccord au fil des années sur la question de savoir si les lettres ont été écrites par la victime. Le message contenait pourtant une erreur grammaticale flagrante. Au lieu d’utiliser le participe passé du verbe « tué » (tuée), l’inscription utilisait l’infinitif (tuer). Les avocats de M. Raddad ont fait valoir qu’il avait été piégé. Ils se justifiaient en rappelant que Mme Marchal, femme riche et instruite, n’aurait jamais commis une telle erreur. Mme De Granrut a déclaré que sa tante, comme beaucoup d’autres femmes de sa génération, n’était cependant pas allée à l’université. Les enquêteurs ont trouvé d’autres exemples de la même erreur grammaticale. « Je ne suis pas sûre qu’au moment où elle écrivait, elle avait en tête toute la grammaire française », a déclaré Mme de Granrut.

Les procureurs et la famille de Ghislaine Marchal, eux, ont soutenu que Raddad, qui était accro aux machines à sous, a attaqué son employeuse par colère lorsqu’elle a refusé de lui donner une avance sur son salaire. Selon eux, après que Raddad s’est échappée de la cave et l’a verrouillée de l’extérieur, Ghislaine Marchal aurait tenté d’identifier son meurtrier en écrivant ces deux inscriptions. Mourante, elle aurait également fermé la porte par crainte du retour de son agresseur. Par ailleurs, de l’argent liquide aurait été volé dans le sac à main de la victime, retrouvé vide sur son lit.

Cependant, O. Raddad a toujours clamé son innocence affirmant n’avoir aucune raison de tuer Ghislaine Marchal, qui le traitait bien. En revanche, ses partisans soutiennent que le véritable meurtrier de Ghislaine Marchal a pu placer le lit en face de la porte en quittant la cave, et écrire les deux lettres pour piéger le jardinier marocain. Ils affirment que le sac à main vide n’est pas une preuve de vol, qu’aucun bijou ou autre objet de valeur n’a été volé, et surtout que ni l’ADN de Raddad ni ses empreintes digitales n’ont été retrouvés sur la scène du crime.

Une affaire qui passionne

L’affaire a longtemps passionné la France, qui considérait M. Raddad, un immigré marocain, comme une victime de discrimination. L’affaire avait aussi secoué l’hexagone car le corps de cette femme fortunée avait été retrouvé dans le sous-sol de sa villa dans un quartier aisé du nord de Cannes. Les horizons opposées des deux protagonistes, le mystère de la chambre close qui n’a pas été résolu de manière satisfaisante n’ont jamais cessé de susciter l’interrogation de l’opinion public sans oublier la faute d’orthographe flagrante. Cette erreur a, d’ailleurs, soulevé en France des questions sur la classe sociale et la langue, notamment celle de savoir si une femme de son statut social aurait commis une erreur aussi minime ou si l’accusation avait été portée sur le jardinier, facilement condamnable parce qu’il était d’origine arabe. Ainsi, le meurtre brutal de Ghislaine Marchal et la condamnation subséquente de son jardinier ont captivé l’imagination populaire et suscité un grand intérêt dans le pays. Des livres et des films ont dépeint la condamnation comme une erreur judiciaire.

La faute d’orthographe a pris une telle ampleur que même des décennies plus tard, elle apparaît toujours à la une des livres, des journaux et des réseaux sociaux pour souligner les failles de l’administration de la justice. Mme De Granrut, nièce de Mme Marchal estime que cela s’est produit en partie parce que sa famille a choisi de garder le silence sur le meurtre. Lorsque l’opinion publique s’est retournée contre eux, dit-elle, les membres de la famille ont brièvement pensé à s’exprimer sur l’affaire, mais ont fait marche arrière. « Parce que nous n’avons pas parlé, il est devenu plus difficile de parler, et je pense qu’il est trop tard », a déclaré Mme de Granrut, qui a donné quelques interviews ces dernières années.

Lors de son premier procès, Raddad a été reconnu coupable et condamné en 1994 à 18 ans de prison. Mais en 1996, deux ans après avoir été condamné, Omar Raddad est libéré à la suite d’une visite du roi du Maroc Hassan II en France. Le suspect se voit alors bénéficier d’une grâce partielle du président français de l’époque, Jacques Chirac, mais il n’est pas acquitté du meurtre. Ainsi, Omar Raddad porte toujours la responsabilité pénale du meurtre de Ghislaine Marchal, malgré la grâce présidentielle qu’il a obtenue et qui lui a permis de sortir de prison.

Une révision comme dernière chance

C’est la première étape vers une éventuelle révision du procès. 27 ans après la condamnation d’Omar Raddad pour le meurtre de Ghislaine Marchal, la justice a décidé, jeudi 16 décembre, de rouvrir le dossier. La commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen a ordonné un complément d’information avant de se prononcer sur la recevabilité de la requête déposée par Omar Raddad. Cette décision constitue une première étape avant une éventuelle saisine de la Cour, laquelle aura le dernier mot sur l’organisation d’un nouveau procès, un événement rarissime en France.

Maître Sylvie Noachovitch, nouvelle avocate d’Omar Raddad, a déclaré qu’il « souffre toujours, quitte rarement la maison et n’est plus en vie. » Il a également exprimé son souhait de ne pas être interviewé. Toutefois, a-t-elle ajouté, la décision de réexaminer les preuves lui a donné un nouvel espoir. « Ce verdict est un pas vers l’annulation de la condamnation, mais la bataille n’est pas encore terminée », a déclaré Maître Noachovitch. Elle a ajouté qu’elle espérait que la réouverture du dossier permettrait de « corriger l’une des plus grandes erreurs judiciaires du XXe siècle ».

D’autre part, la famille Marchal maintient toujours que l’ancien jardinier est coupable du meurtre de l’éminente veuve. Ils affirment que les traces d’ADN sont contaminées. « Ce n’est pas un événement du passé avec lequel j’ai appris à vivre, c’est un événement qui revient toujours au présent », a déclaré Sabine de Granrut, en faisant référence au meurtre de sa tante. La famille de la victime « souhaite que ces investigations permettent de mettre un terme définitif à une affaire douloureusement vécue par elle » et « espère que ce nouveau volet judiciaire se déroulera dans un climat médiatique apaisé », selon un communiqué.

Expert en génétique analysant une découverte en 2015

« Des traces d’ADN exploitables »

Le suspect marocain avait essuyé un premier rejet d’une demande de révision en 2002. La Cour de révision et de réexamen avait alots rejeté la demande d’un nouveau procès, considérant qu’il était « impossible de déterminer à quel moment, antérieur, concomitant ou postérieur au meurtre, des traces [d’ADN] ont été laissées ». Sa nouvelle requête, dans l’une des affaires criminelles les plus énigmatiques et controversées de France, s’appuie sur les progrès de la science en matière d’ADN et sur une loi votée en juin 2014 qui assouplit les critères permettant d’obtenir la révision d’un procès.

La nouvelle avocate d’Omar Raddad a présenté à la justice les conclusions d’un expert en génétique qui analysait une découverte de 2015 : des prélèvements sur des scellés avaient mis en évidence des traces d’ADN « exploitables » dans le tracé des lettres, qui se sont révélées différentes du profil génétique de l’ex-jardinier. Au total, quatre empreintes génétiques correspondant à quatre hommes, dont deux empreintes parfaitement exploitables et deux autres partiellement, avaient été trouvées sur deux portes et un chevron de la scène du crime. Ce sont sur ces deux portes qu’avaient été réalisées les inscriptions « Omar m’a tuer », emblématique de cette affaire, et « Omar m’a t », avec le sang de la victime.

Dans des notes de 2019 et 2020, l’expert en génétique avait également relevé la présence de 35 traces d’un ADN masculin inconnu dans l’inscription « Omar m’a t » et conclu dans le sens de l’hypothèse d’un dépôt de ces empreintes au moment des faits et non d’une « pollution » ultérieure, notamment par les enquêteurs. La commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen a demandé des investigations complémentaires sur ce point. La défense de l’ancien jardinier juge plausible le fait que ces traces génétiques aient été déposées par l’auteur de l’inscription. Celle-ci n’aurait donc pas été écrite par Mme Marchal agonisante mais par un homme, potentiellement le meurtrier, cherchant à désigner un bouc émissaire.