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Le comédien et réalisateur, originaire des Bahamas, Sidney Poitier est décédé à l’âge de 94 ans à Los Angeles. Premier acteur noir à recevoir un oscar, pour Le Lys des champs en 1964, et militant des droits civiques, l’acteur américano-bahaméen aura pavé le chemin à toute une génération de comédiens afro-américains. Il avait régné, au cœur des années 1960, sur le box-office américain, avec notamment des rôles dans Dans la chaleur de la nuit et Devine qui vient dîner….
Une des légendes d’Hollywood a disparu. L’immense acteur américano-bahaméen, Sidney Poitier, premier comédien noir à avoir remporté l’Oscar de meilleur acteur pour Le Lys des champs en 1964, est mort cette semaine à l’âge de 94 ans, a annoncé ce vendredi, le ministre des Affaires étrangères des Bahamas, Fred Mitchell, île dont il était originaire. “Nous avons perdu une icône, un héros, un mentor, un combattant, et un trésor national”, a lui écrit le vice-Premier ministre des Bahamas, Chester Cooper, à propos de l’acteur, sans mentionner pour l’heure la cause de son décès.
« L’aventure n’a pas été facile pour en arriver là »
Sidney Poitier a grandi dans une famille d’agriculteurs sur Cat Island, dans l’archipel des Bahamas, alors colonie britannique. Par un hasard déterminant, ses parents avaient coutume de vendre leurs légumes sur le marché de Miami en Floride, l’endroit-même où le jeune Sidney est né prématurément, le 20 février 1927, acquérant ainsi la nationalité américaine. En 1937, lorsque la Floride décrète un embargo sur les tomates des Bahamas, le jeune Sidney et ses parents se voit obliger de s’installer à Nassau, la capitale, située sur une autre île de l’archipel.
Totalement illettré et n’ayant vécu jusque-là qu’en pleine campagne sur sa petite île de moins de 2 000 habitants, le garçonnet découvre à Nassau l’automobile ; « de loin, je croyais que c’étaient des scarabées qui escaladaient une colline » évoquera-t-il dans une interview. L’adolescent est confronté au racisme, concept totalement inconnu pour lui. « J’ai eu la chance de grandir aux Caraïbes où les Noirs étaient majoritaires » écrira même l’acteur dans l’une de ses autobiographies. Il commence à travailler dès l’âge de 12 ans sur un chantier à Nassau.
Mais Sidney Poitier y cultive de mauvaises relations et collectionne les mauvais coups, au point que ses parents décident de l’envoyer chez un frère aîné, établi à Miami où le garçon arrive en janvier 1943, à l’âge de 15 ans. Il y découvre les lois ségrégationnistes en vigueur en Floride, l’interdiction d’accéder aux jardins publics ou aux commerces tenus par des Blancs, la menace permanente du harcèlement policier, des mesures et des pratiques inconnues aux Bahamas. Un épisode lui est particulièrement resté en mémoire. « Un soir, détaillera-t-il, les flics de Miami ont essayé de m’intimider alors que je me trouvais dans un quartier blanc. Ils m’ont forcé à marcher des kilomètres jusque dans les quartiers noirs. À Miami, au début des années 1940, ils auraient tout aussi bien pu m’abattre sans aucune conséquence pour eux et ils ont d’ailleurs menacé de le faire ».
« Cette peur-là […] n’a pas éteint la rage en moi mais si je ne m’étais pas retenu, j’aurais tout aussi bien pu devenir un gamin noir trouvé mort d’une balle sans qu’il y ait beaucoup d’enquête pour retrouver les coupables. »
Sidney Poitier
Ce refus d’être un jour entraîné dans une sale histoire pousse à décider le jeune Sidney de migrer à New York, ville dure également mais qui offre plus d’opportunités. L’idée d’y aller faire carrière dans le spectacle est encore bien loin de ses pensées. Il a 16 ans et se contente d’un petit boulot de plongeur dans un restaurant qui lui permet à peine de survivre. C’est là qu’un serveur juif plus âgé va lui faire le cadeau qui va changer sa vie. Soir après soir, après la fermeture, son mentor va lui apprendre à lire. « Il a fallu que j’attende mes vingt ans pour lire un livre. Je ne connaissais rien au jeu d’acteur et je trouvais même difficile de lire à haute voix. Mais je me suis toujours focalisé pour m’améliorer, que ce soit dans la vie ou sur la scène » confiera-t-il plus tard dans This Life.
Sidney Poitier s’envole !
Désormais plus sûr de lui et légèrement moins pauvre, le débutant encore timide s’inscrit à l’American Negro Theater de Harlem, d’où vont aussi sortir Ossie Davis et son épouse Ruby Dee ou encore Harry Belafonte. Après un premier refus en raison de son fort accent caraïbéen, le comédien est accepté six mois plus tard et commence à apprendre les rudiments du jeu d‘acteur. Dès lors, il enchaîne les tournages et les succés. Il obtient son premier rôle au cinéma dans La Porte s’ouvre de Joseph Mankiewicz. Il y joue un médecin noir confronté à un raciste interprété par Richard Widmark.
Très vite, Sidney Poitier s’impose, avec l’aide de son agent Marty Baum, comme le premier choix des grands metteurs en scène pour les rôles de « l’homme noir ordinaire victime des préjugés ». Il enchaîne ainsi Pleure, Ô Pays bien-aimé (1952) qui traite de la ségrégation raciale en Afrique du sud, Graine de Violence (1955) qui se déroule dans un lycée d’enseignement professionnel d’un quartier pauvre de New York, Le Carnaval des Dieux (1957) dont l’action se déroule au Kenya ou encore L’Esclave Libre (1957). Déjà batti d’une belle notoriété, il explose l’année suivante dans La Chaîne (1958) de Stanley Kramer, film à haute teneur symbolique évidemment dans lequel deux prisonniers, un Blanc et un Noir (Sidney Poitier et Tony Curtis), qui, au départ, se détestent, s’évadent de leur fourgon cellulaire à la faveur d’un accident et se lancent dans une cavale reliés par une chaîne dont ils n’arrivent pas à se défaire. Le film est un triomphe dans le monde entier et obtient neuf nominations aux Oscars. Sidney Poitier est, lui, récompensé d’un Ours d’argent à Berlin et d’un BAFTA à Londres, accentuant un peu plus sa stature internationale.
Conscient de sa responsabilité et après avoir beaucoup hésité, il accepte de tenir le rôle de Porgy dans la mise à l’écran de l’opéra de George Gershwin Porgy and Bess (1959) au motif que « mal interprété, le film pouvait tourner à la catastrophe dans la représentation des Noirs ». Au contraire ce sera également un triomphe. Sidney Poitier devient alors un pionnier, le premier acteur noir à se voir confier des rôles « sérieux », incarnant respectabilité et responsabilité.
Sidney Poitier se réinvente !
La célébrité prend part à la lutte pour les Droits civiques et sa participation à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté du 28 août 1963, prend en effet de l’ampleur. L’année suivante, il crée la sensation en devenant le premier Noir à remporter l’Oscar du meilleur acteur pour Les Lys des champs. L’intrigue s’articule autour d’un aventurier noir rencontrant, en pleine cambrousse de l’Arizona, une communauté de sœurs catholiques allemandes qui cherche à faire construire une église pour la communauté latino du canton qui est, évidemment, très pieuse. « Jusqu’alors, le Noir était toujours représenté de façon négative dans les films : des bouffons, des clowns, des serviteurs ou des marginaux. J’ai toujours voulu me tenir à l’écart de ces stéréotypes » dira-t-il dans une interview accordée en 1967.
Dans Dans La Chaleur de la nuit, il est Virgil Tibbs l’officier de police imperturbable soupçonné de meurtre dans une ville du Sud raciste, rôle emblématique qu’il reprendra dans deux autres films Appelez-moi Monsieur Tibbs (1970) et L’Organisation (1971). Film courageux pour l’époque, Devine qui vient dîner ? le voit en homme mûr venant demander en mariage une jeune femme blanche de 23 ans à ses parents. Au début du tournage, les mariage mixtes sont encore interdits dans 17 États américains, interdiction levée cette même année 1967. Et dans Les Anges aux poings serrés, il interprète le rôle d’un ingénieur qui accepte d’enseigner dans un lycée en pleine période d’émancipation de la jeunesse du swinging London de la deuxième moitié des années 60. Mais Sidney Poitier connaît une longue éclipse devant la caméra dans les années 1980. Il reparaît enfin en 1988 dans Randonnée pour un tueur, de Roger Spottiswoode. Une occasion de prouver qu’il n’a pas l’âge de ses artères. En agent du FBI, le sexagénaire poursuit un criminel dans les montagnes. Il réalise lui-même les cascades. Il est de nouveau en duo avec un blanc, l’acteur Tom Berenger. En 1997, il interprête Nelson Mandela dans Mandela and De Klerk, téléfilm sur les négociations entre les deux leaders sud-africains autour de la fin de l’apartheid.
Au tournant des années 1970, Sidney Poitier s’associait aussi à Barbara Streisand, Steve McQueen, Paul Newman et Dustin Hoffman pour créer First Artists Production Company afin d’avoir les coudées plus franches avec les studios. Il se lancait alors dans la mise en scène, un domaine où ses succès seront plus modestes que devant la caméra mais dans lequel il prendra beaucoup de plaisir, notamment celui de tourner à deux reprises avec son ami de toujours Harry Belafonte dans Buck Et son Complice (1972), un western, et Uptown Saturday Night (1974), une comédie. Peu à peu, il sera moins heureux avec les films suivants et se consacrera alors à l’écriture, lui l’ancien analphabète. Il va signer This Life (1980), The Measure of A Man (2000), deux autobiographies mais aussi Lettres A Mon Arrière-petite-fille (2008) ainsi que Montaro Caine, son premier roman, à l’âge de 86 ans (2013).
Un triomphe en trompe-l’oeil
Parallèlement, il a siégé entre 1995 et 2003 au conseil d’administration de la Walt Disney Company tout en exerçant le métier de diplomate comme ambassadeur non-résident des Bahamas au Japon de 1997 à 2007 et auprès de l’Unesco de 2002 à 2007. Ce qui couronne une existence exceptionnelle qui l’aura vu également être fait Commandant de l’Ordre de l’Empire britannique en 1974 et décoré de la Médaille présidentielle de la Liberté par Barack Obama en 2009. Une façon d’honorer la bataille de Poitier, toujours pacifique et parfois contestée pour cela.
Mais ce triomphe, qui dura depuis les années 1950 n’était ainsi, en réalité, qu’un trompe-l’œil, une victoire éphémère dont les fruits se firent attendre des décennies. Dans un pays qui venait à peine de reconnaître le droit de vote aux Afro-Américains des Etats du Sud (l’une des minorités les plus nombreuses des États-Unis), la place qu’occupait Sidney Poitier dans l’imaginaire collectif était immense mais aussi étroitement limitée par le conservatisme d’une industrie cinématographique moins soucieuse de représenter les spectateurs des quartiers populaires des grandes villes.
Ce paradoxe opposant vitalité et créativité d’un grand acteur a fasconné le parcours du fils de fermier des Bahamas, arrivé, adolescent aux Etats-Unis, et devenu 15 ans plus tard un sex-symbol qui n’avait pas le droit d’embrasser à l’écran ses partenaires blanches. Une star qui à chaque film devait incarner les aspirations de sa communauté telles que les avaient imaginées les scénaristes et les réalisateurs blancs. Que cette pression n’ait pas empêché Sidney Poitier d’affirmer sa qualité d’interprète, mais aussi de devenir, dans les années 1970, l’un des premiers producteurs et réalisateurs noirs à travailler à l’intérieur du système des studios donne la mesure de l’homme qu’il fut.
“L’industrie cinématographique n’était pas encore prête à élever plus d’une personnalité issue des minorités au rang de vedette […] À l’époque, […] j’endossais les espoirs de tout un peuple. Je n’avais aucun contrôle sur les contenus des films […] mais je pouvais refuser un rôle, ce que je fis de nombreuses fois”.
Sidney Poitier dans son autobiographie This Life
Plusieurs fois récompensé dans sa carrière, il avait été nommé pas moins de 10 fois lors de la cérémonie des Golden Globes. En 2002, il avait reçu un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière et pour “ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence”. “J’accepte cette récompense au nom de tous les acteurs et actrices afro-américains qui m’ont précédé (…) et sur les épaules desquels j’ai pu m’appuyer pour envisager mon avenir”, répondait l’acteur remerciant “les choix visionnaires d’une poignée de producteurs, réalisateurs et directeurs de studios”. Ce même soir, Denzel Washington devenait le second Afro-Américain à recevoir l’Oscar du meilleur acteur : “Je n’arriverai jamais à votre hauteur et j’inscrirai toujours mes pas dans les vôtres”, avait-il alors déclaré.
Sidney Poitier avait eu quatre filles, Beverly, Pamela, Sherri et Gina, de son premier mariage (1950-1965) avec Juanita Hardy et deux autres, Anika et Sydney Tamiia, avec l’actrice canadienne Johanna Shimkus, épousée en 1976. En 2000, il confiait à Oprah Winfrey être resté fidèle aux principes de son père. Malgré sa grande pauvreté, il était “resté digne, même si, dans toute sa vie, il n’a jamais gagné autant d’argent que ce que j’ai pu dépenser en une semaine”.
Longtemps Sidney Poitier a été seul. Depuis, sont venus Eddie Murphy, Richard Pryor et bien d’autres qui ont pris la relève. Le cinéma noir américain a trouvé d’autres visages et d’autres voix. Mais Sidney Poitier a été et restera le premier. Dans une Amérique où les tensions raciales sont toujours vives, la première star noire hollywoodienne continuera donc longtemps d’occuper une place particulière, symbolique et paradoxale.