L’UE peut compter sur des alternatives au gaz russe, qui représente 40% de ses importations de gaz. Même si une fermeture totale du robinet russe est jugé peu probable, l’Europe se prépare à une meilleure indépendance énergétique.
L’Europe pourrait, bientôt, être menacée du fait des tensions en Ukraine. Toutefois, l’UE peut compter sur d’autres sources d’approvisionnement grâce, par exemple, à des gazoducs venant de Norvège, d’Algérie ou encore d’Azerbaïdjan, malgré le fait que ces pays ne disposent pas de capacité de production supplémentaires. Pour l’Europe, les regards se tournent donc vers les approvisionnements par gaz naturel liquéfié (GNL), qui peuvent arriver par bateau du monde entier. Les États-Unis ont indiqué travailler à « des approvisionnements alternatifs couvrant une majorité significative des potentielles coupes » dans la livraison de gaz russe.
En moyenne, 40% du gaz en France est russe. Catherine MacGregor, qui dirige l’ancien Gaz De France, ne dit pas qu’il est impossible de se passer du gaz russe mais elle affirme que si l’on devait s’en passer, « nous entrerions dans un scénario de l’extrême ». En clair, il faudrait consommer moins d’énergie et donc moins se chauffer ou faire tourner moins vite les usines. Il faudrait également accepter de payer notre énergie plus chère. La facture augmenterait pour les ménages mais aussi pour l’Etat car le choc inflationniste serait tel que la puissance publique devrait assumer une partie de la hausse. Se passer du gaz russe veut donc dire se résigner à vivre moins bien, pour plus cher.
Doit-on redouter une coupure des robinets russes ?
« Une suspension totale des exports gaziers reste le moins probable des scénarios », juge le cabinet Eurasia Group.
« Cela impliquerait des risques graves à long terme pour la stabilité financière de la Russie et son influence politique en Europe, car l’UE répondrait probablement de manière agressive en diversifiant son approvisionnement énergétique. »
Eurasia Group
La patronne d’Engie, Catherine MacGregor, s’exprimait le 7 mars dernier dans Les Echos. Son message est clair : l’Europe aura beaucoup de mal à se passer du gaz russe. Si on coupe le robinet, l’Europe se prive d’une source d’énergie qui représente moins de 10% de notre mix énergétique total en France, mais deux ou trois fois plus dans d’autres pays. A court terme, il n’y a donc pas de risque grâce aux réserves à disposition. Aujourd’hui ces dernières sont déjà très basses car avec les prix élevés, les géants du gaz n’ont pas acheté plus pour reconstituer leurs stocks. Ils espéraient une baisse des prix cet été mais elle ne va pas intervenir. Le gaz va coûter plus cher et si l’on arrête d’acheter aux Russes et nous risquons de passer l’hiver prochain sans réserves.
Gaz naturel, première alternative au gaz russe
À la différence du gaz transporté par gazoduc, une grosse infrastructure fixe, le GNL permet une grande flexibilité de transport et un approvisionnement venant de n’importe quel pays producteur. L’Australie dit aussi être prête à envoyer du gaz naturel en Europe. Cependant, il est difficile de remplacer tout le gaz russe par du GNL, les capacités de regazéification en Europe (Royaume-Uni compris) étant de quelque 19 milliards de m³ par mois. Avec environ 8 m³ en moyenne déjà utilisés, il reste environ 11 m³ de capacités qui peuvent encore être mobilisés. Pas tout à fait assez pour compenser les quelque 14 m³ par mois venus actuellement de Russie.
« En matière de volumes, les trois mastodontes aujourd’hui sont le Qatar, l’Australie et les États-Unis. […] Donc c’est majoritairement ces trois pays qui auraient de la flexibilité pour produire plus, ou rediriger vers l’Europe des volumes traditionnellement dirigés vers d’autres marchés. […] Si on raisonne en base annuelle, il y a largement la capacité disponible pour remplacer une bonne partie des exportations russes dans les terminaux européens. »
Vincent Demoury, délégué général du Groupe international des importateurs de gaz naturel liquéfié (GIIGNL)
Mais actuellement, à la fin de l’hiver, « l’utilisation des terminaux est beaucoup plus haute » que la moyenne annuelle. Les terminaux français sont par exemple « saturés » actuellement, mais ce n’est pas le cas partout. En effet, il reste des pays avec des capacités significatives disponibles, notamment l’Espagne et le Royaume-Uni. Le gaz qui entrerait par ces terminaux pourrait ensuite être redistribué sous forme gazeuse, via le réseau de gazoducs du continent, vers les pays qui en ont besoin. Mais le transport par gazoduc au sein du continent européen bloque, par manque d’interconnexions à certains endroits. Par exemple, l’Espagne dispose de plusieurs terminaux GNL, mais les capacités sont ensuite limitées pour faire circuler le gaz au-delà des Pyrénées vers le reste du continent. Les réserves de gaz en Europe sont basses cet hiver et l’approvisionnement depuis la Russie parvient à un niveau historiquement faible en ce mois de janvier.
Le GNL possède également des avantages pour le climat et la pollution de l’air, selon le secteur. Il remplace avantageusement le charbon pour produire de l’électricité ou le fioul lourd pour la propulsion des navires, d’après ses promoteurs. Mais « remplacer une énergie fossile et une dépendance russe par une autre se révélerait une impasse pour l’Europe à moyen terme », critique le Réseau action climat, en réaction au sommet européen à Versailles. Le GNL a aussi d’importants impacts climatiques, étant très énergivore, poussant à la production en amont, et créant des fuites de méthane, très nocif pour le climat.
Une « opportunité » pour l’Afrique
Pour le président de la Chambre d’énergie africaine au Nigeria et en Afrique de l’Ouest, Abdur-Rasheed Tunde Omidiya, la crise actuelle constitue “une opportunité en or pour les producteurs de gaz africain de développer une stratégie gazière robuste et rentable, permettant de répondre aux besoins énergétiques de notre mère patrie, l’Afrique, et de nos amis européens”. L’Afrique possède environ 7 % des réserves mondiales de gaz naturel et de pétrole. La société S&P Global Platts, spécialiste de l’analyse du marché de l’énergie, indique également que près de 40 % des gisements de gaz décelés au cours de la décennie écoulée ont été découverts en Afrique, “principalement au Sénégal, en Mauritanie ».
Biogaz, autre alternative ?
La méthanisation est également une piste supplémentaire pour réduire notre dépendance au gaz russe. L’Union européenne a « des solutions pour devenir indépendante » à ces importations, selon le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire , qui a détaillé diverses pistes comme le stockage de gaz dès cet été, les achats groupés, la diversification des approvisionnements, mais aussi la consommation de biogaz , que l’on peut fabriquer en France. Pour ce dernier, la Commission européenne le voit également comme une solution d’avenir.
Pour fabriquer le biogaz, des déchets agricoles sont absorbés dans d’immenses cuves, puis digérés et transformés en gaz. Les unités de méthanisation se multiplient chez les agriculteurs français, pour qui les investissements sont lourds, mais en partie financés par l’Europe et l’État. La France espère d’ailleurs arriver à 30% de consommation de gaz renouvelable d’ici dix ans. Des objectifs qu’il faut revoir à la hausse, selon la FNSEA ou encore l’association France gaz renouvelable. Mais pour cela, il faut aider les filières de la méthanisation, et aussi de la pyrogazéification à partir de déchets de bois, à se renforcer. Pour renforcer ces filières, il faudra lever les verrous réglementaires. La Commission européenne prévoit de doubler la production de biométhane en un an, en aidant les agriculteurs à devenir des producteurs d’énergie.
Selon GRDF, le gaz vert pourra représenter deux tiers de la consommation de gaz en France en 2040. Et même pour RTE ou l’Ademe, cette part pourrait représenter près d’un quart du mix énergétique français en 2050.
La solution américaine
Les États-Unis et l’Union européenne ont annoncé vendredi la création d’un groupe de travail visant à réduire la dépendance de l’Europe envers les énergies fossiles russes, en raison de la guerre menée par Moscou en Ukraine. Les États-Unis s’efforceront, en coopération avec « des partenaires internationaux », de fournir à l’Europe 15 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz naturel liquéfié (GNL) en 2022, dans le cadre de cette initiative dévoilée par le président américain Joe Biden et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, selon un communiqué.
La question de l’indépendance énergétique est devenue d’autant plus capitale depuis l’annonce de Vladimir Poutine mercredi dernier. Ce dernier avait fait part de sa décision de ne plus accepter de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz à l’UE, renforçant ainsi le cours du rouble et affaiblissant les sanctions occidentales menées à l’encontre de la Russie.