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2023, une année historiquement chaude : Christophe Cassou décrypte les impacts

2023, une année historiquement chaude : Christophe Cassou décrypte les impacts

2023, une année historiquement chaude : Christophe Cassou décrypte les impacts

INTERVIEW. L’année 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, vient d’annoncer l’Institut Copernicus. Sommes-nous face à un emballement du climat et comment l’expliquer ? Et surtout, doit-on craindre des conséquences directes ? Des questions qu’AR1 a posé à Christophe Cassou, co-auteur du sixième rapport du GIEC.

Toujours selon l’Institut européen Copernicus, cette année 2023 est montée sur le podium des années les plus chaudes enregistrées, avec une anomalie de 1,46 °C au-dessus de la norme préindustrielle. Du jamais vu depuis l’année record de 2016. En pleine COP28, ce mois de novembre affiche une température record de 14,22 °C à l’échelle mondiale. L’Institut chargé de la surveillance du changement climatique souligne également que 2023 a connu six mois et deux saisons records.

De quoi parle-t-on précisément ?

Avant de débuter, qu’est-ce que ça veut dire exactement 1,46 °C au-dessus de la norme préindustrielle ? Christophe Cassou répond que « pour faire des études climatiques, il est toujours nécessaire de se placer à une période appelée « de référence » ». Cette dernière permet de se positionner à la fin du XIXe siècle, nous explique le climatologue, puisque cette période « n’est pas encore trop perturbée par nos émissions de gaz à effet de serre ».

L’ère préindustrielle, historiquement parlant, se réfère à la période de 1750 à 1850, avant le début de la révolution industrielle, marquée par l’utilisation du charbon, puis du pétrole et du gaz. Cette utilisation de ces énergies fossiles « conduit à cette accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui réchauffe le climat ».

Le 17 et 18 novembre, l’anomalie a atteint les 2,07 °C par rapport à la norme préindustrielle. Une première dans l’histoire de l’analyse des températures de surface par Copernicus et un seuil inédit qui soulève la question cruciale : le climat est-il en train de s’emballer ? Réponse : « Non. Dans la mesure où il n’y a pas d’accélération. On est sur une trajectoire qui est de 0,3 °C à l’échelle globale, sur les dernières décennies. Ça n’augmente pas trop. Le climat se réchauffe très fortement et a un impact important », nous explique Christophe Cassou.

Nous avons cette impression de température qui s’emballe parce que « l’on perçoit les effets du changement climatique aujourd’hui, alors qu’auparavant, il était masqué par les fluctuations naturelles du climat ». Le climatologue évoque le phénomène climatique de La Niña s’étant manifesté entre 2020 et 2022, lequel a contribué à atténuer l’augmentation abrupte des températures.

Le climat s’affole-t-il et que se passe-t-il ?

Même si le climat ne s’affole pas, selon le climatologue, cette « année 2023 est une année record et va surpasser 2016 ». Pour expliquer cette nouvelle historique, Christophe Cassou identifie trois grandes causes en plus du changement climatique en cours. Ce sont ces fameuses fluctuations naturelles du climat, telles que « le contraire de La Niña, El Niño, c’est-à-dire un réchauffement temporaire du Pacifique, qui est modéré à fort cette année et contribue à faire grimper les températures globales », explique Christophe Cassou. 

La deuxième cause se trouve dans les eaux de l’Atlantique Nord. « On a eu au printemps et en été une diminution marquée de l’intensité des vents, cela réchauffe l’océan, alors que d’habitude les vents permettent l’évaporation de l’eau et donc de refroidir l’océan ».

Dernière cause évoquée par le chercheur : « la faible étendue de la banquise hivernale dans l’océan austral ».

Sommes-nous menacés par des conséquences prochaines ?

Tandis que nous avons dépassé de manière journalière la barre des 2 degrés, toujours par rapport à la norme préindustrielle, faut-il s’attendre à des conséquences dans les semaines, voire les mois qui arrivent ? La réponse est moins évidente selon le chercheur du CNRS : « chaque dixième de réchauffement augmente les risques, et en particulier pour les écosystèmes. Il est plus difficile de dire qu’à +2°C il y aura des seuils qui seront franchis ». 

Christophe Cassou souligne qu’il « n’aime pas » l’idée des seuils parce que « on a l’impression qu’il y a comme une falaise : à 1,9 °C tout va bien et à 2,1 °C on est mort. Il y a un continuum de risque ». Le scientifique a une vision sur des décennies, sur les impacts d’un monde à 1,5 °C, on peut parler « de mortalité, de dépérissement d’écosystèmes en particulier chez les coraux, avec jusqu’à 95 % des coraux qui auront disparu à 2 °C de réchauffement ».

L’Accord de Paris sur le climat va-t-il être brisé ?

En pleine COP28 à Dubaï et huit ans après les Accords de Paris sur le climat, qui ont fixé l’objectif de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5 °C, allons-nous finalement dépasser cette barre ou pourrons-nous rester en dessous ? Selon Christophe Cassou, « aujourd’hui, il est virtuellement certain que l’on va franchir le seuil des 1,5 °C. Le défi est de limiter le réchauffement. Nos choix et décisions politiques d’aujourd’hui vont déterminer le niveau de réchauffement futur ». 

Questionné sur la pertinence des mesures prises aujourd’hui par rapport aux enjeux, le scientifique du CNRS affirme qu’« elles ne le sont pas du tout, on est bien en deçà des objectifs pour limiter le réchauffement », répond-il, se désolant du fait que l’on continue de discuter de la nécessité ou non de sortir des énergies fossiles alors que « selon les évaluations du GIEC, il n’y a pas d’autres solutions que d’en sortir ».

Le scénario du pire devant nous ?

« Nous devons préparer notre pays à une évolution des températures de +4 degrés », étaient les mots de Christophe Béchu, ministre de l’écologie en mai dernier. Se dirige-t-on tout droit vers ce scénario du pire ou faut-il être plus optimiste ? « Ce scénario n’est pas celui du pire », annonce Christophe Cassou, « c’est le scénario vers lequel on se dirige. Le scénario le plus pessimiste est bien au-dessus de +4 degrés pour la France : c’est plus 5 ou 6 degrés ».

« La meilleure adaptation, c’est l’ensemble des mesures qui visent à limiter les émissions de gaz à effet de serre, car chaque incrément de température nous rapproche des seuils d’irréversibilité. »

Christophe Cassou à AR1.

Faut-il alors se préparer au pire ? Pour le chercheur, « il est louable d’anticiper le changement climatique, mais le seuil choisi n’est pas le plus risqué. Il faut se préparer à des risques qui vont être croissants, menaçants, en cascades. Se préparer au sens de la gestion des risques, de la politique sociale et de la vie démocratique. »

Emmanuel Macron est-il à côté de la plaque en parlant des centrales nucléaires ?

En ce qui concerne la déclaration d’Emmanuel Macron à la COP28, appelant tous les pays du G7 à abandonner les énergies fossiles au profit de l’énergie nucléaire, cela vous semble-t-il réalisable de votre point de vue ? « À l’échelle du monde, non », corrige Christophe Cassou. « Il y a une question de temporalité de la mise en place des infrastructures nucléaires qui est longue alors qu’il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui ».

« Ce sont les tonnes de CO2 évitées aujourd’hui qui comptent pour le climat futur. Le levier le plus efficace pour lutter contre le changement climatique, c’est le questionnement de la modification de nos modes de vie ».

Christophe Cassou à AR1.

Le climatologue déplore aussi un « débat qui tend à réduire les enjeux climatiques à une question d’électricité, qui n’est qu’une partie des problèmes climatiques. Des solutions technologiques seront nécessaires pour lutter contre le changement climatique, mais les évaluations scientifiques montrent que leur utilisation sera intéressante quand on aura d’abord réduit nos émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a pas d’autre alternative ».

Ce changement dans nos modes de vie semble oublié par les politiques, dont le président de la République qui ne parle que des centrales nucléaires. Est-il à côté de la plaque ? 

« Je n’emploierais pas ce terme. Je dirais plutôt qu’il a peut-être des œillères, il n’adresse qu’une petite partie du problème ».

Christophe Cassou à AR1.

Pour l’ensemble des citoyens et des politiques, la plus grande difficulté selon le scientifique est de « se projeter vers de nouveaux imaginaires », spécifiant les changements dans nos modes de vie « à des échelles plutôt courtes. Le défi est très lourd, mais cela peut être aussi une opportunité, parce que lutter contre le changement climatique, préserver la biodiversité, c’est plus de bien-être, une meilleure qualité de vie, de l’eau et de l’air. Des inégalités réduites. », conclut Christophe Cassou.