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[ENTRETIEN] Serge Zaka : pourquoi la douceur inquiète le monde de l’agriculture ?

[ENTRETIEN] Serge Zaka : pourquoi la douceur inquiète le monde de l’agriculture ?

[ENTRETIEN] Serge Zaka : pourquoi la douceur inquiète le monde de l’agriculture ?

« Il n’y a pas que l’homme sur Terre ». La France connaît une douceur que plusieurs pourraient trouver agréable, et pourtant, elle a des effets insoupçonnés sur l’agriculture et la biodiversité. Serge Zaka, agroclimatologue, dévoile pour Focus les impacts profonds de cet épisode de température « remarquable ».

Du haut de son chapeau brun à l’allure de cow-boy, Serge Zaka, âgé de 34 ans, observe minutieusement le ciel. Ingénieur en agronomie et titulaire d’un doctorat en agroclimatologie, il porte un regard préoccupé sur les répercussions du changement climatique sur l’agriculture. Passionné par la traque des orages durant son temps libre, Serge est aussi conférencier. Il utilise sa voix et sa présence sur les réseaux sociaux pour sensibiliser le public aux impacts du changement climatique, non seulement sur les cultures, mais aussi sur la biodiversité.

L’Hexagone traverse un épisode de douceur qualifié de « remarquable pour la période » par les météorologues. Plus d’une centaine de records de température pour le mois de janvier ont été battus sur l’ensemble du territoire. Si cette clémence des températures peut sembler agréable à première vue, Serge Zaka souligne que ce réchauffement inhabituel est loin d’être une bonne nouvelle. En effet, il révèle déjà des impacts significatifs sur l’arboriculture, la faune et nos forêts.

Focus : Pourquoi ces températures sont-elles considérées comme anormales ?

Serge Zaka : La douceur actuelle est anormale, puisque nous avons un anticyclone qui fait remonter de l’air chaud sur l’Europe de l’Ouest. Anormale, car nous sommes très largement au-dessus des normes de saison, sur presque l’intégralité de la France, de façon durable. On est vraiment face à un événement qui cumule à la fois l’intensité, la durée et la surface. C’est ainsi que l’on caractérise ces événements. Dans ce cas, les trois aspects sont couplés.

La douceur est souvent perçue comme agréable pour l’homme, mais cette perception s’étend-elle également aux cultures agricoles ?

Il faut savoir que la douceur est agréable pour l’homme, et également pour le porte-monnaie, notamment concernant le chauffage. C’est indéniable, on ne peut pas le contredire.

Il faut souligner que cette douceur n’est pas une bonne nouvelle ; il n’y a pas que l’homme sur Terre.

Serge Zaka

Il y a également des animaux en hibernation, des arbres qui sont en dormance, et des insectes. Ces derniers sont normalement à cette période de l’année non visibles ou sous forme de cocons. Toutes ces espèces, qui dépendent de la température ne trouvent pas ces températures agréables. Elles subissent ce que l’on appelle un faux printemps, c’est-à-dire un événement de douceur qui a généralement lieu en hiver et qui simule un printemps pour les végétaux.

Quelle est alors la différence entre les humains et les écosystèmes ?

Nous, humains, sommes basés sur les dates calendaires. Nous savons très bien quand c’est le printemps ; on a tous un téléphone pour nous dire quelle date nous sommes. Les écosystèmes, eux, sont basés sur la durée du jour et la température. Les espèces qui sont moins sensibles à la durée du jour sont uniquement sensibles à la température. Et le fait qu’elles se développent et qu’elles commencent leur cycle de reproduction ou leur cycle de croissance ; ou pour les arbres, le cycle végétatif ; c’est extrêmement néfaste. Pourquoi ? Parce qu’elles seront plus sensibles au gel. Ces espèces se retrouvent manipulées par ce faux printemps. En cas de gel, on aura des dégâts. Ils peuvent être économiques pour l’agriculture, tandis qu’ils ne le sont pas nécessairement pour les forêts ou les animaux, qui subissent, eux aussi, le gel, les canicules et les sécheresses. Des événements qui fatiguent les écosystèmes.

La douceur ne dure que depuis trois semaines. Est-il vraiment probable qu’elle cause déjà des conséquences ?

Prenons un exemple : pour les abricotiers, il leur faut à peu près six cents heures de froid avant la floraison, c’est-à-dire six cents heures sous les neuf degrés. Ces valeurs ont été atteintes, puisqu’on a eu un épisode de froid en janvier. Ensuite, il leur faut juste soixante jours avec une température au-dessus de sept degrés pour faire la floraison. Il suffit donc juste d’une semaine de douceur pour que l’abricotier fleurisse.

On observe déjà la floraison des amandiers, des abricots, des pruniers, ou encore des cerisiers. Toutes ces espèces n’ont pas besoin de beaucoup de chaleur et de froid pour se retrouver en pleine floraison. Ça fait dix ans qu’on a des problématiques avec l’abricot, puisqu’il fleurit de plus en plus tôt, et ça pose des problèmes dans les cas de gel tardif.

Cette douceur remarquable peut-elle enclencher une nouvelle sécheresse ?

Pour l’instant, non. Sauf dans les Pyrénées-Orientales qui subissent une sécheresse chronique depuis deux ans.

Cette douceur va aggraver les choses, d’autant qu’il ne pleut pas. En plus, avec ce vent doux, l’évapotranspiration et la perte en eau sont plus importantes. Ceci dit, sachant que les végétaux sont morts, il n’y a plus grand-chose qui transpire. Au niveau du reste de la France, on est très largement excédentaire en termes d’humidité des sols, de nappes phréatiques, des cours d’eau. C’est même mieux pour ces secteurs qu’il ne pleuve pas pour laisser le temps au sol et aux nappes phréatiques de récupérer l’eau qui est tombée. Ça donne aussi des opportunités aux agriculteurs d’intervenir dans les champs.