Aller au contenu

[ENTRETIEN] Élévation du niveau de la mer, précipitations extrêmes : la chaleur record des océans inquiète les scientifiques

[ENTRETIEN] Élévation du niveau de la mer, précipitations extrêmes : la chaleur record des océans inquiète les scientifiques

[ENTRETIEN] Élévation du niveau de la mer, précipitations extrêmes : la chaleur record des océans inquiète les scientifiques

Récemment, les océans du monde entier ont atteint des niveaux de température sans précédent. Cette hausse conduit à plusieurs changements qui affecteront directement nos modes de vie. Point complet sur les causes et les conséquences futures de cette augmentation avec deux océanographes.

Meghan Cronin, cheveux brun foncé, est une océanographe spécialisée dans l’étude des océans et leur impact sur le climat mondial. Elle travaille à bord d’un bateau de l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère (NOAA). Auteur principal du dernier rapport du GIEC, Thomas Frölicher est un scientifique spécialisé dans l’étude du climat, particulièrement connu pour son travail sur les impacts du changement climatique sur les océans.

Thomas Frölicher

Ils sont tous deux préoccupés par l’évolution de la situation cette année en ce qui concerne la température de la surface des océans. D’après les données fournies par la NOAA, un nouveau record a été établi à la mi-février, avec une température moyenne globale de la surface des océans atteignant 21,11 degrés (voir graphique ci-dessous). Cependant, ce record pourrait être rapidement surpassé dans les semaines, voire les mois à venir. Comment peut-on expliquer cette hausse spectaculaire des températures ? Et pourquoi est-il crucial pour nous, les humains, de nous en préoccuper ? Quelles en sont les conséquences ? Et quelles solutions pouvons-nous envisager pour y remédier ?

Pourquoi le thermomètre de nos océans s’affole ?

Thomas Frölicher : Le réchauffement climatique, principalement dû à l’activité humaine, est la cause principale des températures records actuelles. La variabilité naturelle, comme El Nino, y contribue aussi en provoquant des hausses de température globales. Par exemple, dans le Pacifique équatorial, l’affaiblissement des alizés (vent régulier du Pacifique, NDLR) diminue la remontée d’eaux froides, entraînant un réchauffement régional. De plus, l’Atlantique Nord enregistre des températures anormalement élevées, possiblement dues à des vents faibles et à une moindre remontée d’eaux froides. D’autres éléments, tels que la réduction des aérosols ou de la poussière saharienne, peuvent aussi jouer un rôle secondaire.

Meghan Cronin : Le réchauffement climatique amplifie les variations saisonnières et interannuelles, provoquant des étés plus chauds et des hivers plus froids dans l’hémisphère sud, où les mers prédominent. Les années El Niño accentuent ce réchauffement global en chauffant le Pacifique tropical. Ce qui est inquiétant, c’est que la moyenne mondiale pourrait se refroidir temporairement, mais la tendance au réchauffement climatique persiste, avec des El Niños probablement plus extrêmes à venir.

Est-ce un phénomène récent ?

Meghan Cronin : Certains pourraient penser qu’un changement de 0.3°C par an est faible. Ce n’est pas le cas ! L’accord de Paris visait à maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C. L’océan couvre 70 % de la surface de la Terre et a une grande capacité thermique (c’est-à-dire qu’il retient la chaleur comme un réservoir). Si la tendance au réchauffement climatique d’origine humaine se poursuit à ce rythme, il est probable que nous franchirons ce seuil des 2°C au cours de la prochaine décennie. Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une moyenne mondiale. À l’échelle régionale ou locale, par exemple dans l’Arctique, cette moyenne pourrait être beaucoup plus importante.

Y a-t-il des conséquences à craindre ?

Thomas Frölicher : Des études récentes soulignent les effets négatifs des vagues de chaleur marine sur la faune et les écosystèmes marins, entraînant blanchiment des coraux, disparition de végétation sous-marine et modification de la distribution des espèces. Une importante vague de chaleur dans le Pacifique Nord-Est entre 2013 et 2015 a causé la mortalité d’oiseaux de mer, l’échouage de lions de mer en Californie et de baleines en Alaska, et perturbé la pêche en favorisant les espèces d’eaux chaudes.

J’ai peur de ce qui se passera lorsque la glace de mer arctique fondra. Les conséquences seront nombreuses.

Meghan Cronin

Thomas Frölicher : Le réchauffement des océans entraîne une élévation du niveau de la mer et accélère la fonte des glaces polaires. En outre, le réchauffement des eaux océaniques intensifie l’évaporation, ce qui entraîne une augmentation de la formation de nuages et une libération subséquente d’énergie, qui peut se manifester par des précipitations extrêmes aux conséquences considérables.

Meghan Cronin : Personnellement, j’ai peur de ce qui se passera lorsque la glace de mer arctique fondra. Les conséquences seront nombreuses. Si la glace de mer fond, les glaces sur terre fondront aussi, causant une grande montée du niveau de la mer et affectant les courants marins. Le réchauffement des océans changera aussi le cycle de l’eau, les conditions de vie dans les océans et la diversité des espèces marines. Cette fonte des glaces génèrera aussi un changement de la réflexion solaire de la Terre.

Quelles sont les solutions, à l’échelle individuelle et à plus grande échelle, pour limiter les effets du dérèglement climatique ?

Thomas Frölicher : Pour minimiser les changements futurs dans l’océan, nous devons réduire considérablement les émissions de CO2 d’origine fossile. Tout le reste joue un rôle négligeable pour notre climat et notre océan.

Meghan Cronin : Le plus important, c’est d’arrêter le flux des émissions de gaz à effet de serre.  Plus nous attendons pour le faire, plus nous devrons compter non seulement sur l’arrêt du flux, mais aussi sur la capture des gaz à effet de serre et sur des émissions négatives.