La guerre en Ukraine interroge sur la préparation de la France aux conflits dits de “haute intensité”, ou plus simplement aux affrontements plus durs et à plus grande échelle. L’armée française s’est préparée depuis des années à ces conflits. Mais est-elle véritablement prête ? On analyse, dans cette article, les capacités et les fragilités de la France si elle venait à être engagée dans un conflit de « haute intensité ».
Pour rappel, l’invasion russe de l’Ukraine a été déclenchée quelques semaines après que l’armée française se soit retiré du Mali et ait réorganiser son combat asymétrique contre les jihadistes du Sahel, liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique (EI). Un symbole qui illustre un virage amorcé par la France en terme de défense. « La haute intensité est une hypothèse crédible et nous devons nous y préparer, car le meilleur moyen d’éviter la guerre est de s’y préparer », remarquait, il y a peu, un rapport parlementaire.
En 2020, le général Thierry Burkhard, alors chef d’état-major de l’armée de terre (devenu depuis chef d’état-major des armées) posait un diagnostic sans équivoque. « Nous arrivons peut-être à la fin d’un cycle de la conflictualité qui a duré vingt ans où l’effort de nos armées s’est concentré sur le combat contre le terrorisme militarisé », estimait-il devant la commission défense de l’Assemblée nationale. « Il nous faut réapprendre la grammaire de la guerre de haute intensité ». Derrière ce vocabulaire, on parle d’un affrontement entre grandes puissances, de combats très violents avec de lourdes pertes mais aussi des effets majeurs sur le territoire en termes sécuritaires, économiques, informationnels.
Des difficultés pour tenir dans la durée
Selon les experts, la 7e puissance militaire mondiale n’a pas de lacunes majeures dans l’inventaire des équipements. Le nombre lui manque, toutefois, notablement pour poursuivre le combat dans de long termes. Le constat est facilement démontré alors que, selon les chiffres de la défense ukrainienne, les Russes ont déjà perdu en Ukraine plus de chars que le nombre total dont la France dispose soit au total, environ 200 engins, en plus d’une semaine de guerre. L’analyse peut valoir également pour les munitions, les hélicoptères de combats, la plupart des grands systèmes d’armes et le volume des troupes qui pourraient être très sévèrement réduit par des combats conséquents. Il manquerait par exemple 6 à 7 milliards d’euros pour remettre les stocks à neuf, selon le député LR, Jean-Louis Thiérot.
Cependant, comme les autres pays du monde, il est complexe pour la France d’augmenter rapidement les volumes de production de ses usines d’armement en recrutant significativement avec le souci constant d’éviter de contribuer à une course aux armements. Elle a donc choisi une voie médiane, pour assumer en même temps le combat asymétrique et la haute intensité. Mais cette alternative a ses limites. « Le choix de la France de conserver un modèle d’armée complet et en pointe ne s’est pas toujours accompagné des investissements budgétaires nécessaires », relève un rapport parlementaire publié il y a plusieurs jours.
« Le maintien de notre armée au plus haut niveau a été obtenu au prix d’une réduction progressive et substantielle de sa masse, au point que ses capacités ont pu être qualifiées d’échantillonnaires, tant elles sont parfois limitées en nombre. »
Rapport parlementaire du 22 février
La France est ainsi largement en retard tout comme ses voisins européens. Pour le colonel Michel Pesqueur, « afin de tenir dans la durée, l’armée de Terre devra être sophistiquée et résiliente, capable de régénérer à la fois ses effectifs, ses matériels et ses stocks », écrivait-il dans une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Des besoins en formation de plus en plus récurrents sont aussi cités face à une mutation technologique vertigineuse. “Pour l’armée de Terre on est à 64% par rapport à l’optimum pour avoir un entraînement qui permettrait d’avoir nos forces au top niveau”, regrette Jean-Louis Thiériot. En hausse pour la quatrième année consécutive, le budget de la Défense en 2022 est porté à 40,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,7 milliard d’euros par rapport à 2021 et de 28% par rapport à 2017, lorsque le budget était de 32 milliard d’euros.
Une coopération entre les alliés
Comme le rappelait la semaine dernière la ministre des Armées Florence Parly, « il y a peu d’hypothèses où la France serait engagée seule dans un conflit de haute intensité ». De ce point de vue, l’armée tricolore, qui s’appuie sur le modèle fondamental de la dissuasion nucléaire, est alors considérée par ses alliés comme solide, dans des opérations de l’OTAN ou encore des Nations unies.
Concernant l’Armée de l’Air, selon l’ancien commandant des Forces aériennes stratégiques (FAS) Bruno Maigret, cité dans le rapport parlementaire, “dans un conflit de haute intensité, l’armée de l’Air n’aurait plus d’avions en 10 jours et vraisemblablement plus de missiles au bout de deux jours.” La synthèse préconise, entre autres, d’augmenter le nombre d’avions de chasse et de frégates “de premier rang”, ainsi que de développer la robotisation dans les forces terrestres.
Ainsi, la guerre en Ukraine a rappelé aux Européens qu’une guerre avec déploiement massif d’aéronefs et d’artillerie était possible sur leur continent et que le risque d’un conflit de haute intensité était réel. Une menace qui a, pourtant, étant longtemps minimisée par l’état-major français.