Aller au contenu

Jean-Louis Trintignant, légende du cinéma français, s’est éteint

Jean-Louis Trintignant, légende du cinéma français, s’est éteint

Voix reconnaissable entre toutes, présence magnétique teintée de mélancolie, Jean-Louis Trintignant a mené pendant un demi-siècle une immense carrière au théâtre et au cinéma, de Et Dieu… créa la femme à Amour. D’une timidité maladive qu’il réussit à domestiquer par le théâtre, le comédien au sourire déconcertant s’est éteint à l’âge de 91 ans, ce vendredi.


L’acteur est « mort paisiblement, de vieillesse, ce [vendredi] matin, chez lui, dans le Gard, entouré de ses proches », a précisé son épouse Mariane Hoepfner Trintignant dans un communiqué transmis par son agent.

Né le 11 décembre 1930 à Piolenc dans le Vaucluse, ce fils d’industriel est élevé à la dure. Il était fils d’un fabricant d’entremets engagé dans la politique, radical-socialiste ami d’Edouard Daladier, et d’une bourgeoise qui avait rêvé d’être tragédienne. Jeune homme timide, après avoir entamé des études de droit, il monte à Paris, à 20 ans, afin de s’inscrire à l’Institut des hautes études cinématographiques. Parallèlement, il suit des cours d’art dramatique chez Charles Dullin notamment. Il débute sur scène en 1951, dans Marie Stuart de Schiller, et à l’écran dans Si tous les gars du monde, de Christian-Jaque (1956). Il tourne la même année au côté de Brigitte Bardot dans Et Dieu… créa la femme de Vadim.

« Etre une page blanche, partir de rien, du silence. Dès lors, on n’a pas besoin de faire beaucoup de bruit pour être écouté. »

Jean-Louis Trintignant parlant de son métier et aimant prôner l’humilité

C’est sans désinvolture qu’il confessait d’ailleurs avoir raté son idéal : « Rester un acteur clandestin ».

Romance

Sa liaison avec « BB » fait beaucoup parler, à l’époque. Marié trois fois, il avait épousé l’actrice Stéphane Audran puis la réalisatrice Nadine Marquand avec qui il eut trois enfants, Marie, Pauline (morte alors qu’elle était encore bébé) et Vincent. Depuis leur divorce, ce passionné de courses automobiles partageait la vie de la pilote de course Marianne Hoepfner. Jean-Louis Trintignant vivait depuis une trentaine d’années près d’Uzès (Gard), non loin de ses vignes si chères.

Au retour d’un service militaire traumatisant en Algérie, le comédien repart avec Les Liaisons dangereuses (Vadim). Son jeu nerveux et sensible séduit. Avec sa composition d’amoureux romantique dans Un homme et une femme, aux côtés d’Anouk Aimée, il devient l’acteur qui tourne le plus, à l’instar de Belmondo et Delon et entre dans l’histoire du cinéma. Ce dernier film lui vaut une Palme d’or à Cannes en 1966. Au total, il jouera dans quelque 120 films avec un certain faible pour les personnages ambigus, impénétrables, inquiétants.

Une voix à part entière

Il est aussi à l’aise dans les films grand public comme Paris brûle-t-il ? (René Clément) que dans l’avant-garde avec L’homme qui ment, d’Alain Robbe-Grillet, qui lui vaut l’Ours d’argent du meilleur acteur à Berlin. On le retrouve également dans un cinéma plus politique, comme Z de Bretrand Costa, avec lequel il remporte, en 1969, un prix d’interprétation à Cannes. Il tourne par la suite en Italie, notamment dans Le Fanfaron de Dino Risi et Le Conformiste de Bernardo Bertolucci. Jean-Louis Trintignant réalise lui-même deux films, Une journée bien remplie et Le Maître-nageur, où le mélange des genres, humour noir et nonchalance, étude de mœurs insolite et grinçante, dérouteront le public.

Dans les années 80, l’acteur recentre sa carrière sur le théâtre. En parallèle, il tourne quelques grands rôles au cinéma, dans Regarde les hommes tomber ou Trois couleurs : Rouge, où il incarne un ancien juge taciturne.

Il joue de nombreuses voix off, chez Chéreau (Ceux qui m’aiment prendront le train), chez Audiard (Un héros très discret). Une voix devenue son identité, qu’il n’a cessé de travailler, enregistrant depuis toujours les poètes qu’il aime. Trintignant était un comédien concentré, immensément présent, avec une voix d’homme « musculeux et maigre, marchant tête droite, courageux, farcesque, timide », propre aux acteurs de Truffaut, dont il avait tourné le dernier film, Vivement dimanche !.

« Je reconnais n’avoir jamais été très gai »

Ce perfectionniste était aussi un homme inquiet et réservé qui confiait avoir eu des tentations suicidaires. Ce pessimisme l’accompagne bien avant la mort de sa fille avec qui il entretenait une grande complicité.

En effet, sa vie aurait pu s’interrompre ce 1er août 2003, jour du décès de sa fille Marie, battue à mort par Bertrand Cantat. Seconde enfant perdue, trente-trois ans après Pauline à Rome. Quelques mois auparavant, père et fille avaient interprété en duo sur scène les Poèmes à Lou d’Apollinaire. Ce décès tragique n’allait plus cesser de le hanter : « J’aurais pu arrêter ma vie à ce moment-là » , déclara-t-il plus tard. Il s’éloigne alors près de dix ans des plateaux de cinéma.

Poussé par ses proches, il était remonté sur scène, trouvant une « thérapie » dans la poésie et le théâtre. Les planches, son « vrai métier », racontait-il.

« On fait du ciné un peu par vanité, pour ne plus être timide. »

Jean-Louis TRINTIGNANT

Conclusion en Majesté

« Vous vous suiciderez après le film, dans deux mois, si vous voulez », lui lance, en 2010, la productrice du prochain film de Michael Haneke, qui a écrit Amour. Il faudra toute l’obstination du cinéaste double palme d’or pour le persuader de lire le scénario. Cependant Trintignant le trouve trop déprimant et lui répond sans ambages : « Je suis quand même content de l’avoir lu, car au moins je sais que je n’irai pas le voir ». Devant l’insistance du réalisateur Autrichien, qui lui fait comprendre que le travail est un remède à tout, il cède et opère l’un des come-back les plus spectaculaires du cinéma français. La silhouette s’est voûtée, la voix est plus étouffée, presque caverneuse, mais il a déjà des retours d’énergie et d’enthousiasme. Le film dans lequel il tient la tête d’affiche obtient une nouvelle fois la palme d’or à Cannes. Il y interprète un octogénaire confronté à la lente agonie de sa femme, jouée par Emmanuelle Riva.

Il s’était ainsi peu à peu retiré du devant de la scène à partir des années 80 pour se consacrer à sa deuxième vie. Celle de vigneron producteur au sein du domaine Rouge-Garance, à une vingtaine de kilomètres de Nîmes, dans la Vallée du Rhône. C’est là, près d’Uzès, qu’il a passé les dernières années de sa vie, combattant un cancer. Le 12 mars 2021, il fait une dernière apparition lors de la 46e cérémonie des César.

Bouclant la boucle, il retrouvait en 2019 Claude Lelouch et sa partenaire Anouk Aimée pour Les plus belles années d’une vie, suite d’Un homme et une femme 53 ans après. Auparavant, Haneke lui avait proposé un dernier rôle ; celui d’un vieux bourgeois suicidaire dans Happy End, en compétition à Cannes en 2017. Le titre de cette ultime œuvre ne pouvait que flatter son goût de l’humour noir. Il était devenu un patriarche déterminé à mourir dans la dignité, sans essayer de jouer au sage. Une fin paradoxale pour un comédien polymorphe, qui aura dédié son existence à un cinéma de l’intime et du mystère, avec ces inflexions d’une voix chère qui désormais s’est tue.