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Les cours criminelles départementales font débat au Parlement

Les cours criminelles départementales font débat au Parlement

Les cours criminelles départementales font débat au Parlement

Certains députés de l’Assemblée nationale s’opposent aux cours criminelles départementales, pourtant censée être généralisées au 1er janvier 2023. Ils ont en effet préparé une proposition de loi destinée à mettre fin à ces cours. Le combat est loin d’être gagné, mais il prend de l’ampleur. 


Ces cours étaient en expérimentation et les résultats sont mauvais dans les 15 départements concernés par cette expérience, alors que ces nouvelles formes de juridictions devront être, au 1er janvier prochain, généralisées à tout le territoire. Elles traiteront des crimes dits les « moins graves », et réserveront la grande majorité restante aux cours d’assises. Certains pensent que cela préfigure la disparition prochaine des cours d’assisses. La députée Francesca Pasquini (EELV), fait partie des auteurs d’une proposition de loi « visant à préserver le jury d’assises ». Cette dernière prévoit dans son article premier la fin de l’expérimentation des cours criminelles départementales à la date du 1er janvier prochain.

Une proposition de loi qui répond à une réalité problématique

Cependant, il faut noter que l’occasion, pour celle-ci d’être adoptée avant 2023 semble impossible, n’était même pas inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Si, néanmoins, ses auteurs parviennent à l’inscrire, il faudra ensuite faire face à toute la procédure parlementaire d’adoption d’une loi, qui est, il faut le rappeler, particulièrement longue et complexe (la majorité, passage au Sénat…). Il faut noter que selon le sénateur Guy Benarroche, vice-président de la commission des lois constitutionnelles et membre du comité d’évaluation des cours criminelles départementales ayant donné lieu à un rapport rendu public en novembre (voir en fin d’article), « rien ne montre que les objectifs ont été atteints dans les lieux d’expérimentation, au pire on peut dire que ce n’est pas bon ». Selon lui, les CCD invisibilisent les crimes sexuels.  La loi les mettant en place se fixait deux objectifs : mettre fin à la correctionnalisation des viols (procédé permettant de faire passer un viol pour un délit en passant sous silence une circonstance aggravante par exemple) et réduire les délais de traitement des affaires criminelles pour une justice plus accessible aux citoyens. Or, sur le premier point, la présidente du Syndicat de la magistrature (SM) Kim Reuflet est formelle : « aujourd’hui les viols sont encore massivement correctionnalisés même là où il y a une expérimentation de cours criminelles départementales ». Quant au second point concernant les délais, on serait passé de 4,5 années d’attente pour un procès d’assises à 11,8 mois devant les CCD. Cette même présidente du SM prend l’exemple du département Loire-Atlantique pour appuyer son propos : « on a organisé une session CCD de 15 jours, et une autre de 15 jours d’assises, évidemment quand on mobilise beaucoup de moyens, on juge plus ! Mais les juridictions se sont retrouvées en difficulté pour faire autre chose ». En effet, cette mobilisation de juges pour pallier l’existence des jurés des cours d’assisses entraine un ralentissement des dossiers dans diverses autres matières, puisque les juges appelés sont d’ordinaire aux affaires familiales, à l’instruction ou autres. Donc leur propre dossier sont retardés par leur présence aux CCD. Les demandes de suspension des CCD se multiplient dans les départements en raison du manque de moyens donnés aux juridictions pour continuer à traiter leur dossier en plus de leur mobilisation aux CCD. La justice est, certes, habituée à subir et s’adapter aux réformes à moyens constants, mais c’est précisément l’une des causes de sa dégradation progressive.

Les CDD critiquées de nombreux points de vue

Si les objectifs fixés aux CCD ne sont pas atteints, en revanche, la justice proposée apparaît dégradée face à celle des assises. Ainsi, Me Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et membre du Syndicat des avocats de France (SAF) reconnaît que pour un viol, dont la procédure criminelle est dure, lente, traumatisante et il s’agit souvent, avec l’accord des victimes par résignation ou pour des raisons stratégiques, de correctionnaliser la procédure pour pallier ces inconvénients que présente une procédure criminelle. Mais il estime que les CCD n’ont pas amélioré la situation, il note que le taux d’appel est plus important et que le dossier est alors jugé une seconde fois par une cour d’assises. Surtout ces cours criminelles départementales privent les victimes d’une notion importante, les victimes tombent dans les bras de l’avocat en disant « Maître, il y a des gens comme moi qui m’ont crue ! » explique-t-il. Du point de vue des accusés, la députée EELV Sandrine Rousseau, qui fait partie des auteurs de la proposition de loi, a fait observer que symboliquement il est important que l’auteur d’un viol soit confronté à la société et pas seulement à des juges professionnels. Me Julia Courvoisier, qui défend également les assisses, la rejoint sur ce sujet et précise que les accusés sont eux-mêmes demandeurs : « ils sont attachés à la cour d’assises parce qu’ils savent que les jurés sont des gens comme eux, et qu’ils vont les comprendre ». Importante pour les victimes et pour les accusés, la cour d’assises l’est aussi pour les citoyens. Non seulement le citoyen comprend alors toute la complexité de l’exercice judiciaire, mais il peut ensuite l’expliquer : « un juré est un porte-voix de la justice dans son entourage » (Me Gérard Tcholakian, représentant le Conseil national des barreaux (CNB). Pour Me Olivia Ronen, avocate de Salah Abdeslam au procès des attentats du 13 novembre (V13), c’est un lieu de possible « réconciliation sociale » parce que les assises prennent le temps d’engager un dialogue entre les parties au procès. Lors de V13 qui a duré dix mois, on a vu en effet des parties civiles parler avec des accusés, ce qui, au vu de la gravité inédite des faits, était hautement improbable et ne se serait pas produit sans ce procès.

Les CCD sont vues comme une atteinte à la démocratie

Benjamin Fiorini indique ne pas avoir assez de mots pour qualifier les CCD, rebaptisées « crimes contre la démocratie » qu’il qualifie de « scandale démocratique » et d’ « aberration pratique ». On l’aura compris, le véritable objectif de la réforme c’est de faire des économies. Un juré coûte 950 euros par jour. Mais le juge qui le remplace, même s’il y a moins de magistrats dans une CCD (5) que de jurés dans une cour d’assises (9) ne coûte pas rien. Pour le député Ugo Bernalicis (LFI), il y a également une méfiance assumée à l’égard du peuple, représenté par les jurés dans les cours d’assisses. Les jurés populaires « rendraient les débats incertains, manquant de prévisibilité ». Mais, « sans jury d’assises il n’y aurait peut-être pas eu d’Acquittator » a-t-il objecté, l’Acquittator en allusion au surnom donné à Éric Dupond-Moretti en raison du taux important d’acquittement obtenu aux assises par celui qui, devenu ministre, programme avec les CCD leur disparition à plus moins brève échéance. Or, « Il ne faut pas avoir peur du peuple, il est souverain y compris dans l’œuvre de justice » rappelle Ugo Bernalicis. Lundi dernier, les députés partisans de l’abandon des CCD se sont réunis pour discuter sur cette proposition de loi. À l’issue de cette réunion, tout le monde était d’accord pour considérer que la réforme est inutile, voire contreproductive et qu’il fallait à tout prix conserver les assises. Reste à savoir comment s’y prendre. Si la proposition de loi est portée par le parti EELV, elle a déjà été signée par des députés LFI et PS. Le sujet s’avère donc transpartisan et pourrait mobiliser de manière bien plus large, y compris du côté des LR. Parmi les députés de la droite républicaine de même, plusieurs ont manifesté leur opposition à la réforme. La question est donc moins celle de la couleur politique que de la capacité à mobiliser une majorité. Pour l’instant la pétition lancée par Benjamin Fiorini a recueilli un peu plus de 1200 signatures de professionnels, élus et citoyens. Il cherche maintenant à convaincre les uns après les autres avocats, magistrats et élus qu’il faut à tout prix sauver les assises.